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Livraison de sacs de céréales confisqués devant la réserve centrale de Lemgo, située dans les sous-sols du Ballhaus, Waisenhausplatz.

(Source : Archives municipales de Lemgo, Z, 0919)

L’économie agro-alimentaire contrôlée par l’Etat

 

Au début de la guerre, l’État allemand intervint peu dans le domaine alimentaire. Certes, le conseil fédéral (Bundesrat – la chambre haute de l’Empire allemand) fut habilité à prendre des mesures économiques d’urgence par la loi du 4 août 1914 (RGBl 1914, p. 327), mais en fit usage avant tout pour introduire une régulation des prix, afin d’empêcher d’éventuelles hausses incontrôlées. En dehors de cela, le Reich prit des mesures en matière d’importations de denrées alimentaires et fit distribuer à la population des « bons conseils pour une alimentation de guerre plus économe ».

 

Un interventionnisme d’Etat à proprement parler apparut avec le décret-loi du 25 janvier 1915 (RGBl 1915, pp.35) sur la régulation de la circulation des céréales et farines. En vertu de ce décret-loi, toutes les réserves existantes de blé et de seigle furent confisquées par la Kriegs-Getreide-Gesellschaft mbH (société céréalière de guerre s.a.r.l.) à Berlin et destinées à l’armée. Au niveau local, les réserves de farines de blé, seigle, orge et avoine devaient être répertoriées, confisquées et redistribuées par les communautés de communes, qui devaient mettre en place les structures nécessaires pour assurer ces fonctions.

Création de la Lippische Wirtschaftsgemeinschaft (LWG)

 

En réaction au décret-loi du 25 janvier 1915 (RGBl 1915, pp.35) sur la régulation de la circulation des céréales et farines, la plupart des communautés de communes de la principauté de Lippe, y compris la ville de Lemgo, s’associèrent pour former, en mars 1915, la Lippische Wirtschaftsgemeinschaft (LWG – communauté économique de la Lippe). (Voir les articles de la Lippische Post du 24/02/1915, du 16/03/1915, et du 29/03/1915).

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La LWG était constituée de 3 commissions dans lesquels siégeaient des représentants de toutes les communes, y compris le maire de Lemgo. Le commerçant Adolf Sternheim de Lemgo fut nommé premier directeur de la LWG. Le territoire régi par la LWG fut découpé en 5 districts, chacun de ces districts étant soumis à l’autorité d’un Lagerhalter (intendant), responsable de l’achat et du stockage de céréales et de farines pour tout son district, de l’attribution de céréales aux meuniers et la distribution de farines aux boulangers.

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Adolf Starnheim, premier directeur de la LWG (photo de 1933. Source : Archives municipales de Lemgo, Zug. 2020/044)

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Instruction de la LWG concernant le recensement du bétail, 1917 (Source : Archives municipales de Lemgo, T 1/15).

La LWG devient un acteur de poids

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Au début, la LWG avait comme mission d’introduire une régulation unifiée de la consommation de céréales et de farines sur tout son territoire, avec des tickets de rationnement valables partout et des prix réglementés. Mais au fil du temps, ses compétences s’élargirent considérablement. En 1918, elle « répertoriait et redistribuait tout ce qui est nécessaire à la survie des humains et des bêtes », à savoir céréales, farines, pains, oléagineux, légumineuses, fruits et légumes, œufs, laitages, viandes, vêtements et chaussures (Lippische Post, 22/07/1918).

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Presque tous les jours, on pouvait lire dans le journal l’annonce de nouvelles réglementations, de nouveaux arrêtés et dispositifs pris par la LWG.

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Durant l’année commerciale 1916/17, la LWG fit un chiffre d’affaires de 42 millions de Reichsmarks (et l’année précédente de 30 millions, voir Lippische Post du 01/03/1916). Comparé au budget annuel de la ville de Lemgo pendant la guerre (Source : Archives municipales de Lemgo, A 499) de 300.000 RM, il s’agissait d’une somme très impressionnante, qui reflète bien l’importance et l’envergure de la LWG.

 

En 1917, la LWG devient la section commerciale de l’office régional de l’alimentation de la Lippe (lippisches Landesernährungsamt) nouvellement créé, à côté d’une section administrative et d’une section économique (voir Staatsanzeiger 1917, pp. 237). En 1921, elle intégrera la section commerciale de l’administration céréalière régionale (Landesgetreidestelle) nouvellement créé.

Les « hommes de confiance » et « représentants locaux » de la LWG

Dans les quartiers, la LWG s’appuyait sur un réseau de bénévoles appelés « hommes de confiance » (Vertrauensmänner) dans les villes et « représentants locaux » (Ortsvorsteher) dans les villages. Ils devaient établir les listes de recensement et distribuer une fois par mois les tickets de rationnement aux habitants concernés.

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Liste des foyers destinataires de tickets de rationnement, établie par le professeur August Stapperfenne, « homme de confiance » de la LWG à Lemgo, 1917.

(Source : Archives municipales de Lemgo, T 1/15)

Cette fonction était souvent confiée à des enseignants. C’était le cas de l’instituteur Krumsiek de Wiembeck qui, dans sa chronique, se plaint de ce rôle peu gratifiant :


« Dans chaque commune, un dit représentant local, souvent le premier enseignant, fut engagé par la LWG pour contribuer à l’œuvre impopulaire mais nécessaire. A Wiembeck, cette fonction m'incomba tout naturellement. Il y eut beaucoup de travail et beaucoup de désagréments, car la population ne pouvait s’habituer que difficilement au fait qu’on lui retirait le droit de disposer librement de ses cultures ».
                          

                 (Archives municipales de Lemgo, H10/78)

Les « hommes de confiance» et « représentants locaux » étaient souvent tiraillés entre leur mission d’assurer une répartition des ressources équitable et parcimonieuse, et les attentes et demandes de leurs concitoyens sur place.

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Instructions du service municipal de l'alimentation de Lemgo, à l'attention des « hommes de confiance», issues des dossiers du professeur August Stapperfenne, 1917.

(Source : Archives municipales de Lemgo, T 1/15)

Les « hommes de confiance » recrutés comme propagandistes pour l'emprunt de guerre

Les « hommes de confiance » de la LWG étant en contact avec tous les foyers de la ville, ils furent approchés, lors d’une de leurs réunions, par des propagandistes qui œuvraient pour l’achat d’emprunts de guerre. Du matériel d’information et de propagande fut distribué et les « hommes de confiance » furent vivement incités à convaincre la population de la nécessité d’acheter des emprunts pour « porter secours à la patrie ».

 

                                                   (Source: Lippische Post, 13.10.1917)

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Lippische Post, 13/10/1917

Critiqueurs et défenseurs de la LWG

Dès sa création, la LWG fut critiquée à maintes reprises par les conseillers municipaux de Lemgo, qui remettaient en cause certaines de ses directives (cf. procès-verbaux du conseil municipal des 19 et 28 avril 1915), mais qui déploraient avant tout une absence de contrôle par la municipalité et le coût considérable de la LWG, et menacèrent même de se désengager de la LWG (procès-verbal du conseil municipal du 13/07/1915 et Lippische Post, 14/07/1915).

 

Un autre reproche récurrent adressé à la LWG consistait à dire qu’elle privilégiait les foyers dépourvus de réserves de céréales ou de farines, au détriment des foyers disposant de réserves, qui étaient soumis à un contrôle disproportionné (cf. Lippische Post, 03/07/1915)

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Parmi les principaux supporteurs de la LWG figurèrent les socio-démocrates de Lemgo, qui défendaient les intérêts des foyers modestes et estimaient qu’ils étaient bien protégés par la LWG.

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L'enjeu politique

 

La dimension proprement politique de l’opposition entre les foyers auto-suffisants, qui produisaient leurs propres rations céréalières, et les foyers d’ayant droit, dépendant de la distribution de tickets de rationnement, apparut au grand jour à la suite du décès du conseiller municipal Noah en février 1917. Les ouvriers nominèrent le socio-démocrate Clemens Becker comme candidat à la succession, et les bourgeois choisirent l’agriculteur Karl Weege comme leur représentant. Les bourgeois (conservateurs) reprochèrent aux ouvriers (travaillistes) de mettre fin à la trêve politique, respectée depuis le début de la guerre (Burgfrieden), en proposant leur propre candidat à un poste qui revenait de droit à un candidat de la bourgeoisie. Les progressistes de gauche, en revanche, soutinrent Becker, en faisant valoir qu’avec Weege, il y aurait un auto-suffisant de plus dans le conseil municipal, alors qu’ils y étaient déjà trop nombreux. Becker fut finalement élu avec deux fois plus de voix que Weege. Cet épisode peut être lu comme préfigurant, au niveau local, la révolution de novembre 1918 en Allemagne.

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Le socio-democrate Clemens Becker (1869-1961), fondateur de l'antenne SPD de Lemgo, directeur de la coopérative des consommateurs ("Konsumverein") de Lemgo (1901-1917), intendant ("Lagerhalter") du district de Lemgo pour la LWG (1917-20). Député régional de Lippe et conseiller municipal à Lemgo à plusieurs reprises, il fut élu président du conseil révolutionnaire d'ouvriers et de soldats à Lemgo en 1918/1919. Il fut le premier maire de Lemgo après mai 1945.

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Sources : Archives d'Etat de Detmold, D 99 Nr. 1473, Internetportal "Westfälische Geschichte"

Ci-contre : photo de Clemens Becker en 1917. (Source : Archives municipales de Lemgo, Zug/2016/059)

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